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Contexte de l'étude: Le développement des systèmes agrivoltaïques découle de la volonté de combiner production agricole et énergétique sur une même surface, afin de réduire la pression foncière et d'optimiser la productivité des surfaces (Dupraz et al. 2011). Pour l'installation de panneaux photovoltaïques, la priorité est donnée aux surfaces de toiture ou aux terres dégradées, mais celles-ci représentent une ressource limitée et contrainte. De plus, l'agriculture est à la recherche de nouveaux revenus et d'une plus grande autonomie énergétique pour faire face à l'érosion de ses marges et aux fluctuations des prix des produits agricoles, des intrants et de l'énergie. La présence de systèmes d'ombrage photovoltaïques pourrait également protéger les productions animales et végétales des aléas climatiques (canicules, orages violents). Néanmoins, il reste difficile de définir le potentiel de chaque zone agricole pour l'installation de l'agrivoltaïque, ainsi que les risques associés. En particulier, l'impact sur la biodiversité et l'intégration paysagère sont largement ignorés dans les plans de développement et la législation actuels. Face à l'engouement actuel pour le déploiement massif de ces installations, il est urgent de mettre en place des stratégies d'évaluation du potentiel de ces territoires, afin de minimiser l'impact sur la biodiversité et l'environnement, et de limiter le risque de rejet sociétal.
En raison des différentes forces motrices qui affectent l'agriculture et les communautés locales, les agriculteurs des différentes parties du monde sont plus ou moins susceptibles de vouloir installer des systèmes agrivoltaïques sur leurs terres. D'une part, il peut s'agir de préserver les services agricoles, tels que l'amélioration du potentiel de rendement et de l'impact agronomique des parcelles, l'adaptation au changement climatique, la protection de l'agriculture contre les aléas (climatiques en particulier) ou l'amélioration du bien-être du bétail (Dinesh et Pearce 2016 ; Andrew et al. 2021 ; Weselek et al. 2021). Il peut également s'agir de diversifier les revenus et les activités économiques dans la région, ou de réduire l'impact sur l'environnement en produisant une énergie à faible teneur en carbone (Malu et al. 2017 ; Irie et al. 2019 ; Handler et Pearce 2022). D'autres facteurs externes peuvent également motiver les agriculteurs à développer l'agrivoltaïque sur leurs terres. Par exemple, le développement de services d'approvisionnement en énergie, pour lutter contre la vulnérabilité en matière d'accès à l'énergie électrique (notamment pour électrifier les communautés non connectées au réseau électrique, ou pour approvisionner les territoires sous-alimentés en production d'énergie à faible émission de carbone) (Malu et al. 2017 ; Kostik et al. 2020 ; Randle-Boggis et al. 2021). Cependant, les installations agrivoltaïques pourraient entrainer des disservices, dans le sens où elles dégradent d'autres services déjà rendus. Par exemple, les paysages peuvent fournir des services culturels (services récréatifs et touristiques, valeur esthétique ou patrimoniale) ou des services de régulation (régulation biologique, pollinisation), qui pourraient être considérablement réduits si les installations sont visibles de tous ou traversent des réseaux écologiques, ce qui pourrait restreindre la volonté de les installer (Gasparatos et al. 2017 ; Oudes et al. 2022 ; Barré et al. 2023). L'évaluation de la capacité de charge d'une zone selon des critères multifonctionnels qui concernent directement les agriculteurs, mais aussi en intégrant des paramètres externes qui affectent la zone plus largement, est donc essentielle pour garantir une stratégie d'implantation durable et l'acceptation sociétale de l'agrivoltaïque (Fattoruso et al. 2024). Néanmoins, ces études restent rares et n'intègrent que partiellement toutes ces dimensions.
Objectifs et résultats attendus : L'objectif principal de cette proposition de doctorat est de développer une approche multicritère pour modéliser le degré d'adéquation de différents contextes territoriaux pour l'agrivoltaïque. Une approche comparative sera développée entre les zones agricoles en France et en Arizona (USA), et des pistes pour une généralisation à l'échelle mondiale seront proposées. Plus précisément, nous allons (1) identifier les critères pertinents à prendre en compte en vue d'une application globale de l'approche ; (2) modéliser des indicateurs au niveau du paysage pour chacun de ces critères en utilisant une approche à gros grains (éco-paysages) ; et (3) effectuer une analyse spatiale multicritère pour une évaluation régionale à nationale des zones éligibles pour les systèmes agrivoltaïques durables en France et en Arizona, avec des extensions possibles à l'Europe et aux États-Unis.
Cette approche intégrée doit permettre d'identifier les compromis résultant des caractéristiques des différentes zones considérées et les conséquences que les systèmes agrivoltaïques auraient sur celles-ci. En outre, cette méthode est principalement destinée aux autorités régionales et nationales pour la planification du développement durable des systèmes agrivoltaïques au niveau local, en les aidant à identifier les zones à prioriser pour la mise en œuvre de l'agrivoltaïque.
Méthodologie et organisation : La première étape consistera à effectuer une revue de la littérature sur (1) les considérations sociétales et (2) les variables connexes qui peuvent être prises en compte pour calculer d'autres indicateurs paysagers. Les considérations sociétales peuvent être classées en trois catégories : nature et écologie (par exemple, barrières pour le déplacement des espèces, impact microclimatique, contrôle de l'écoulement des eaux de surface), socio-économique (par exemple, perte de l'utilisation existante des terres, tourisme et effet sur l'économie locale, capacité suffisante du réseau, équilibre durable entre l'énergie et l'alimentation) et paysage (d'un point de vue humain ; par exemple, impact esthétique, artificialisation du paysage, caractère historique du paysage) (Oudes et al. 2022). Les variables connexes et les sources de données à utiliser pour calculer les indicateurs paysagers seront identifiées à partir de la littérature existante ainsi que des bases de données publiques sur l'utilisation des terres, l'occupation des sols ou les recensements socio-économiques.
En combinant ces considérations sociétales avec des variables pédoclimatiques et environnementales (par exemple, le rayonnement solaire, la température, l'altitude, la pente, l'aspect/l'orientation, le déficit hydrique), la deuxième étape consistera à calculer des indicateurs éco-paysagers pour chacun des critères. Les éco-paysages sont des représentations à gros grains des paysages qui définissent des zones territoriales écologiquement et géographiquement délimitées, divisées en classes, dans lesquelles la diversité des écosystèmes et les impacts de chaque variable sont relativement homogènes, et qui tendent à être distinctes les unes des autres (Tournant et al. 2017). L'approche est similaire à celle utilisée pour définir les biomes et les grandes régions écologiques, mais à une échelle plus fine. Pour chaque variable/groupe de variables, les métriques de structure du paysage seront calculées dans des fenêtres glissantes de différentes tailles (par exemple de 1 km² à 10 km²) couvrant la zone d'étude. Cette approche rend la taille de la fenêtre indépendante de la résolution finale (taille du pixel) et permet d'intégrer finement le gradient paysager afin de mieux définir les fronts spatiaux de l'évolution du paysage. Ensuite, en intégrant les métriques calculées pour chaque pixel de la zone d'étude, les pixels peuvent être regroupés en catégories équidistantes en fonction de leurs valeurs - le nombre de groupes (ou éco-paysages) étant optimisé, par exemple à l'aide d'une approche par K-means. Enfin, les éco-paysages seront "traduits" d'un point de vue écologique et géographique, en utilisant l'analyse multivariée (ACP) pour identifier les dimensions initiales du paysage qui distinguent les éco-paysages les uns des autres.
Sur la base de toutes ces informations, il sera possible, dans un troisième temps, d'établir des scores pour chaque localité, associés à chaque critère et pression socio-écologique, et de les représenter sous forme de cartes. Sur la base de ces scores, l'adéquation des localités pourra être quantifiée en termes de synergies et de compromis à réaliser par rapport aux différentes dimensions considérées.
Le développement d'une telle approche peut être particulièrement intéressant pour aider à la prise de décision dans le cadre des plans d'aménagement. Afin d'en faciliter l'utilisation, une extension possible du projet sera de développer une application dynamique, qui permettrait (1) d'agréger les scores obtenus par les zones agricoles en zones plus larges selon les besoins (par exemple, à l'échelle d'une exploitation agricole, d'une municipalité, d'un canton) et (2) de cumuler les services/disservices potentiellement rendus par l'agrivoltaïque en combinant les scores obtenus pour chaque dimension considérée. L'outil devra être suffisamment flexible pour permettre aux utilisateurs de choisir les dimensions qu'ils souhaitent intégrer dans leur analyse finale, en fonction des questions qu'ils souhaitent aborder.